TL;DR : Il est bien plus difficile de corriger une fausse information que de la propager. La loi de Brandolini explique pourquoi : entre biais cognitifs, dynamique virale des réseaux sociaux et efforts démesurés pour rétablir la vérité, le mensonge a souvent une longueur d’avance.
Loi de Brandolini : pourquoi corriger une info fausse est si difficile
La désinformation et la propagation de fausses informations sont devenues des enjeux majeurs à l’ère numérique. Face à ce phénomène, la loi de Brandolini, aussi appelée « principe d’asymétrie du bullshit », met en lumière une réalité frustrante : il est infiniment plus difficile de corriger une fausse information que de la produire. Mais pourquoi cette asymétrie ? Quelles sont les racines psychologiques, sociales et techniques de cette difficulté ? Voici une exploration approfondie de ce principe et de ses implications concrètes.
Qu’est-ce que la loi de Brandolini ?
Formulée en 2013 par le programmeur italien Alberto Brandolini, la loi affirme que « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est d’un ordre de grandeur supérieur à celle nécessaire pour les produire ». Popularisée sur les réseaux sociaux, cette loi s’applique aussi bien aux rumeurs et fake news qu’aux théories du complot et aux erreurs involontaires.
Elle s’inscrit dans une tradition plus ancienne. Dès le XVIIIe siècle, Jonathan Swift notait : « Un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures ».
Pourquoi est-il si difficile de corriger une fausse information ?
L’asymétrie de l’effort
Produire une fausse information ne demande que peu de moyens : une affirmation choc, un mémo visuel, un tweet bien formulé… Mais rétablir la vérité implique :
- de vérifier les faits,
- de fournir des preuves,
- d’expliquer le contexte,
- et de le faire de manière claire et pédagogique.
Ce travail est laborieux et moins « viral ». Pendant ce temps, le faux s’envole sur les algorithmes.
Les biais cognitifs et la psychologie humaine
Notre cerveau est mal équipé pour distinguer le vrai du faux, surtout en ligne :
- Effet de persistance : une information reste influente, même après correction.
- Biais de confirmation : on croit ce qui renforce nos opinions, on rejette le reste.
- Effet de répétition : plus on lit une chose, plus on la croit vraie, même si elle est fausse.
- Mémoire associative : la correction coexiste avec le mensonge en mémoire, mais ce dernier est souvent plus marquant.
L’impact des facteurs sociaux et émotionnels
- Identité : contredire une croyance liée à l’identité d’un groupe peut être perçu comme une attaque.
- Confiance : une correction venue d’une source jugée « hostile » aura peu d’effet.
- Motivations sociales : on partage pour appartenir, provoquer ou amuser, pas toujours pour informer.
La viralité du faux
Une fausse information est souvent :
- simple,
- sensationnelle,
- et conçue pour être partagée.
La correction, elle, est nuancée, complexe, et peine à mobiliser l’attention.
Cas concret : le mythe des araignées avalées en dormant
En 1993, Lisa Holst, chroniqueuse pour le magazine PC Professionell, publie un article inventé dans le but de démontrer la crédulité des internautes. Elle y affirme, entre autres absurdités, que chaque humain avale en moyenne huit araignées par an pendant son sommeil. Aucun fondement scientifique ne vient appuyer cette idée, que tous les spécialistes considèrent comme hautement improbable. Pourtant, la rumeur s’est propagée et persiste encore aujourd’hui, malgré d’innombrables démentis.
Ce mythe incarne parfaitement la loi de Brandolini : quelques lignes suffisent à créer un mythe viral, tandis que sa correction exige des années d’efforts, de vulgarisation, de fact-checking, de mobilisation d’experts et de ressources pour le contrer. Et même là, le doute demeure.
Des pistes pour mieux corriger
Le pre-bunking : prévenir plutôt que guérir
Le pre-bunking est une stratégie qui consiste à exposer le public à de petites doses de désinformation typique — comme un vaccin cognitif — en leur apprenant à reconnaître les procédés rhétoriques manipulatoires avant qu’ils y soient réellement confrontés.
Autres bonnes pratiques
- Remplacer l’info fausse par une explication alternative qui a du sens.
- Adapter le ton et le contenu à l’audience visée.
- Répéter la correction plusieurs fois, idéalement par des sources diverses.
- Soigner la forme : infographies claires, formats engageants, langage simple.
Conclusion
La loi de Brandolini illustre un déséquilibre frappant : la désinformation bénéficie de la rapidité, de la simplicité et de l’émotion. La correction, elle, est lente, complexe et demande un effort soutenu. L’exemple du mythe des araignées en est une parfaite illustration. Pourtant, tout n’est pas perdu : en s’appuyant sur la recherche, l’éducation, des stratégies de pre-bunking et une communication intelligente, nous pouvons renforcer notre résilience collective.
Comme le rappelait George Bernard Shaw : « Le faux savoir est plus dangereux que l’ignorance. »
Sources
- Wikipedia – Loi de Brandolini
- First Draft News – The psychology of misinformation
- TechPolicy Press – Why people believe misinformation and resist correction
- Madmoizelle – Les araignées et le sommeil
- Fondation Descartes – Comment corriger efficacement une mésinformation ?